L’avenir de l’Armée (S3 É1)

L’avenir de l’Armée (S3 É1)

Le Mgén Michel-Henri St-Louis, commandant par intérim de l’Armée, s’enthousiasme pour « les prochaines étapes » de l’Armée canadienne.

[Musique commence]

Major-général Michel-Henri St-Louis : L’armée de demain ne peut pas être l’armée d’aujourd’hui. La structure d’aujourd’hui ne peut pas satisfaire les besoins de demain.

Capitaine Adam Orton : Salut! Ici capitaine Adam Orton avec Le balado de l’Armée canadienne. On débute saison 3 en style. On est ici avec major-général Michel-Henri St-Louis, le commandant intérimaire de l’Armée canadienne, puis on va parler un petit peu du futur de l’Armée. Bienvenue au balado monsieur.

Major-général Michel-Henri St-Louis : Merci beaucoup! Merci de m’avoir Adam.

[Musique termine]

Capitaine Adam Orton : Peut-être pour commencer, on parlait un petit peu quelle question je devrais poser et puis la discussion on était pour avoir, mais qu’est-ce qui vous a pompé pour l’Armée, astheure que vous êtes le commandant intérimaire?

Major-général Michel-Henri St-Louis : Qu’est-ce qui m’a pompé pour l’Armée [rire]? Adam, écoute, je pense qu’on va passer du temps ensemble à se jaser cet après-midi. Premièrement, je suis choyé d’être au sein de l’Armée, d’être dans l’équipe de l’Armée. Ça fait plus de 30 quelques années que je sers en service, 29 ans comme officier. Et à chaque fois que je sers dans l’Armée, bien en fait c’est ma raison d’être et je suis très choyé d’avoir à occuper une position présentement au sein de l’Armée. Mais l’Armée, comme il est sous-entendu dans ta question, on est excessivement occupé. On est sollicité. Il y a des pressions à gauche puis à droite. Et je peux m’imaginer être un chef à Petawawa ou à Edmonton ou à Valcartier et avoir des défis que tu dois t'imaginer que le commandement de l’Armée par intérim a aucune idée. Et ils ont probablement raison! Parce que pour moi, dans le moment si je mets toutes les différentes actions, les activités que l’Armée fait, puis je tente de les identifier ou de les regrouper en portions, il y a à peu près trois items ou trois endroits d’importance pour moi où on doit s’acharner à s’améliorer et à travailler.

Le premier, c’est notre conduite et notre culture. Donc il y a plein d’initiatives autour de la conduite et de la culture sur laquelle l’Armée travaille et, en simultanée, avec notre effort d’adresser notre culture, notre conduite à être un employeur de choix, et bien on a des engagements opérationnels qui continuent. Le besoin de l’Armée de contribuer à la sécurité en Europe, à la sécurité au Moyen-Orient, à entraîner l’armée ukrainienne, à participer aux différents efforts domestiques pour aider les autorités domestiques dans différentes activités. Et bien, ça ça continue donc tout en adressant la culture. Maintenant, nos engagements opérationnels on doit aussi moderniser la Force. L’Armée de demain, ne peut pas être la force d’aujourd’hui. La structure de demain ne peut pas être la même que celle d’aujourd’hui. Et on doit s’acharner à moderniser notre équipement, nos doctrines, nos structures, notre approche, notre acceptation de la digitalisation du futur, la modernisation, la numérisation de nos fonctions, tout ça ensemble; la conduite, les engagements opérationnels, notre modernisation avec un regard sur le soldat d’aujourd’hui. C’est là-dessus qu’est notre focus. Puis quand tu dis : « Qu’est-ce qui m’excite dans l’Armée? », bien de un, j’ai jamais voulu être ailleurs tout le temps de mon service. C’est la raison pour laquelle je me suis enrôlé.

Je me suis enrôlé, Adam, à 16 ans quand j’ai fini mon secondaire 5. Et mon seul but dans la vie c’était, je disais à mes parents, j’ai dit : « Je sais pas trop ce que je veux faire, je veux juste être en charge de monde. Mettez-moi en charge que quelque chose, puis je vais être correct. » Et Dieu sait qu’ils m’ont mis en charge de quelque chose dans le moment. Mais, on essaie de livrer sur ces trois gros items de front.

Capitaine Adam Orton : Puis en parlant justement du changement de culture, surtout que ça fait quelques années que les militaires s’y mettent vraiment, puis certainement que récemment, on voit ça dans les médias. Qu’est-ce qu’on est en train de faire pour promouvoir le changement de notre culture?

Major-général Michel-Henri St-Louis : Alors, je pense que, inclut dans ta question, il est important de réaliser que le changement de culture est un virage sérieux, est un virage important, est un virage qu’on ne peut pas ignorer au sein des Forces. Et ce n’est pas à cause que c’est dans les nouvelles. Tu sais, moi j’achète pas ça parce que c’est dans les nouvelles, il faut donc faire quelque chose là. Absolument pas. Il faut faire quelque chose parce qu’on joint une équipe qui vient ensemble pour porter sévice à un ennemi. Toi puis moi on est dans un uniforme de l’Armée dans le but que, ensemble, on fasse face à quelqu’un d’autre. Puis s’il faut lui faire mal pour lui faire comprendre, bien c’est à l’autre individu, c’est à l’ennemi qu’on lui fait subir quelque chose. Toi puis moi, on n’a pas joint une armée où on se fait mal entre nous autres, où on s’abuse entre nous autres. Et c’est pas parce que c’est dans les nouvelles ou non que ça fait un mois ou un an, 10 mois ou 10 ans que tu sers, que on peut excuser un comportement qui exclut, qui n’est pas tolérant de la diversité, qui ne te fait pas sentir en sécurité au sein de l’équipe. Donc, le virage ou le changement, ou le pivot de conduite et de culture est essentiel si on veut être une force crédible aujourd’hui et demain. Et pour ce faire, bien on fait une multitude de choses. On travaille à tous les niveaux d’arrache-pied.

J’ai pas la prétention de mon bureau comme commandant par intérim de l’Armée de tout savoir ce qui se passe. À travers une armée qui a des milliers de soldats dans la force régulière, des milliers de réservistes, des milliers de Rangers à travers la périphérie de notre pays et de tout savoir ce qui se passe dans des manèges, dans des unités au jour le jour. Mais je le sais que tout le monde à tous les niveaux entend le message et s’efforce de changer cette approche-là. Et avant de la changer, qu’est-ce qu’on fait au sein de l’Armée? On a commencé par écouter. On a commencé par des groupes, des groupes de chefs, des groupes de superviseurs, des groupes de suiveurs qui se sont mis en position pour écouter; écouter les personnes qui ont subi, écouter les personnes qui ont subi quelque chose dans le passé qui avaient peut-être pas une voix ou une plateforme pour nous dire : « C’est quoi que ça veut dire subir quelque chose dans l’Armée? C’est quoi que ça veut dire subir quelque chose dans l’Armée et de penser que tu ne peux pas en parler? C’est quoi que ça veut dire de subir quelque chose dans l’Armée, de penser que tu peux pas en parler et de souffrir en silence? »

Ça, ça commence par cette écoute, cette écoute de chef, de superviseur, de suiveurs qui peut-être mettent lumière le fait que moi j’ai peut-être pas subi quelque chose et moi je pense que peut-être ça n’existe pas parce que c’est pas ma réalité, mais c’est pas vrai parce que c’est la réalité de plusieurs.

Et dans cette écoute, dans cette écoute soutenue, dans cette écoute active, il y a un élément d’apprentissage et dans l’apprentissage, peut-être une compréhension. Dans une écoute active et soutenue qui t’emmène à un apprentissage, à une compréhension, bien éventuellement ça va peut-être amener à l’action.

Donc en plus des séances d’écoute qui ont eu lieu dans des unités de réserves, dans des brigades régulières, dans des groupes de chefs séniors, il y a des périodes d’entraînement sur le comportement haineux. On a publié des ordres pour voir à ce que on fasse plus de prévention. Il y a des cours d’intervention pour les intervenants de première ligne quand il y a de l’inconduite sexuelle. On a donné de l’entraînement à plus de 1000 personnes au sein de l’Armée pour être mieux outillés à répondre dans ces situations-là. On a publié des trousses pour faire de la formation à différents paliers, à différents niveaux. Il y a des groupes de travail qui nous ont suggéré comment opérer en garnison, comment opérer dans le champ, comment être inclusif, la diversité des genres, la diversité des cultures.

Et dans ces efforts d'écoute, dans ces efforts de compréhension, dans ces efforts d’instruction d’action, il y a aussi une série de choses que les Forces ont fait donc, au-dessus de l’Armée. Ils ont appointé un lieutenant-général, général Carignan, qui a déjà commandé une division au sein de l’Armée, qui a déjà été au QG de l’Armée et qui amène une expertise et une perspective, qui amène une énergie en arrière de cette transformation qui est requise. On fait des choix, donner des autorités, des responsabilités sous ce nouveau commandement, commandement qui n’existait même pas voilà 6 mois, qui n’était même pas dans les cartes voilà 10 mois, et qui est parti, qui a été bâti de toutes pièces depuis le mois d’avril.

Mais à travers ces efforts-là d’écoute, une écoute active qui mène à une certaine compréhension et un apprentissage qui t’énergise vers l’action, on garde, je me garde quand même la réalisation qu’on ne connaît pas tout, on ne sait pas tout. Et c’est pas parce que je me suis prêté à deux séances d’écoute, ou quatre séances d’écoute, ou deux séances d'instructions ou d’apprentissage que je peux prétendre que je comprends toutes les facettes du défi de conduite et de culture, que je comprends toutes les facettes de ce qu’on doit améliorer. Donc on reste ouvert à être tout le temps en apprentissage, à être tout le temps en écoute parce que Dieu sait que je n’ai pas toutes les réponses.

Capitaine Adam Orton : J’apprécie vraiment aussi la mention du lieutenant-général Carignan parce que ça c’est quelqu’un qui vraiment là, tu sais que elle va prendre charge de la situation puis elle joue pas avec la ‘puck’. Elle prend ça au sérieux, puis elle va faire ce qu’elle a à faire pour mettre les politiques qu’elle est en train de développer en place.

Major-général Michel-Henri St-Louis : Absolument Adam.

Capitaine Adam Orton : Donc en parlant de la modernisation, puis l’avancement de l’Armée, il y a de la stratégie de modernisation de l’Armée canadienne. C’est un document qui flotte au QG, puis certainement qu’il y a des commandants d’unités qui ont déjà vu ça, qui savent c’est quoi. Parlez-nous un peu plus de qu’est-ce que c’est. Qu’est-ce que ça mange en hiver?

Major-général Michel-Henri St-Louis : J’espère qu’il y a des commandants d’unités qui savent c’est quoi parce que s' ils ne le savent pas, qu’ils m’écrivent un courriel, je vais leur envoyer un des livres.

La stratégie de modernisation de l’Armée-là, c’est un document qui a été publié l’année dernière ou il y a peut-être 10 mois, même pas un an à ce moment-ci. C’est un document qui a été travaillé dessus pendant six mois à un an qui tentait, sous le leadership du général Eyre, au moment qu’il était le commandant de l’Armée, c’est un document qui tentait de mettre, de regrouper tous les différents efforts de modernisation qu’on fait à travers l’Armée. À travers l’Armée-là, il y a tout le temps là, des douzaines et des douzaines d’initiatives, d’activités. Et dans ces douzaines d’initiatives et d’activités, il y a des efforts pour revoir notre structure, il y des efforts pour s’acheter des nouveaux items, de la nouvelle technologie. Il y a des efforts pour voir à moderniser, à aider les Rangers canadiens dans leur service futur. Il y a des efforts pour revoir comment qu’on travaille : la force régulière, la force de réserve ensemble. Comment qu’on génère la capacité terrestre. Comment qu’on se prépare à être prêt. Comment qu’on génère la capacité terrestre à être prêt quand l’appel vient. Alors, le général Eyre a regardé tout ça et très tôt dans son commandement, il a dit : « Ça me prend un document. Ça me prend un endroit où je fais un petit peu d’ordre dans toutes ces priorités-là. Où je fais un petit peu d’ordre dans tous nos efforts de modernisation. Et je les capte, ou je les place sous une compréhension unitaire, une compréhension unique des défis futurs, des adversaires futurs, du futur environnement où la composante terrestre va devoir combattre et gagner. »

Donc le document parle du futur, les enjeux climatiques, les futurs enjeux de mouvements de personnes, de réfugiés, les futurs enjeux des groupes extrémistes, des futures enjeux où la force armée terrestre va devoir être employée et être sous menace dans le domaine de l’information, dans le domaine publique, va devoir être à l’affût des menaces qui viennent dans le domaine cybernétique où la menace qui peut être appliquée sur les forces terrestres qui émane de l’Espace. Toutes cette réalisation-là du futur environnement de combat, du futur environnement où on va opérer. Les menaces futures ont amené la naissance de ce document-là, cette stratégie, cet agenda de changement. Parce que c’est ça que c’est. La stratégie de modernisation de l’Armée, ce n’est rien que plus que notre agenda de changement pour l’Armée, un agenda de changement qui réalise et qui accepte qu’on doit numériser la Force, qu’on doit moderniser la Force, qu’on doit connecter la Force avec des nouveaux items de communication, qu’on doit communiquer avant même de bouger ou de tirer.

On disait auparavant, moi j’ai joint l’Armée qu’on disait en anglais : « Shoot, move, communicate. » Et maintenant, cette stratégie de modernisation fait l’état qu’on commence par être connectés, par communiquer, networked, data exchange. L’échange de connaissances, l’échange de connaissances sur une architecture numérisée qui permet quoi? Qui permet à des chefs tactiques comme toi de prendre des décisions plus vite sur le terrain parce que en un coup-d’oeil, ils peuvent voir ce qui se passe. Pas parce qu’ils sont sur le haut de leur cheval, sur un monticule avec un télescope comme dans le temps ancien. Mais parce qu’ils sont dans un écran, dans un véhicule de combat mobile et avec deux clics sur un outil de communication ou un outil d’ordinateur, ils peuvent avoir une idée avec un coup-d’oeil digital, qu’est-ce qui se passe sur le terrain qui amène des décisions plus vite, qui amène des décisions plus vite pour aller plus vite dans l’espace de bataille que l’ennemi. Et si tu amènes des décisions plus vite dans l’espace de bataille que l’ennemi, ça mène, on espère, à la victoire contre l’ennemi.

Alors tout ça, j’ai pris beaucoup de temps Adam, mais l’agenda de changement de l’Armée est certainement au centre de ce troisième groupe-là, quand je t’ai fait état des trois choses sur lesquelles on travaille : la conduite, la culture, nos enjeux opérationnels et la modernisation, la modernisation au sein de l’Armée. On suit l’agenda de changement tel que décrit par cette stratégie de modernisation de l’Armée.

Capitaine Adam Orton : Puis aussi récemment vous avez parlé de la numérisation de l’Armée. Lieutenant-colonel McMullen qui travaille sur une équipe puis on a eu un balado à propos de ça, si vous ne l’avez pas entendu, allez l’écouter. Là-dedans, il dit aussi que, tu sais, on parle d’une stratégie, puis il dit, tu sais, quand on cherche à l’armée future, à l’armée moderne-là, on y arrive pas là, tu sais, c’est pas comme : « Ah! Aujourd'hui on est moderne! » parce que ça bouge tout le temps de l’avant. Donc avoir une stratégie en place, ce qui nous aide à être guidé, c’est un plan assez important à avoir pour qu’on ait la marche à suivre dans le futur.

Major-général Michel-Henri St-Louis : Oui, parce que c’est pas une destination finale. C’est une aventure. On est sur un chemin qui n’a peut-être pas de fin. C’est un chemin de modernisation en spirale; modernisation sur modernisation. Le rythme de changement technologique augmente de manière exponentielle d’année en année en année. Et l’Armée d’aujourd’hui n’envisage peut-être même pas les enjeux technologiques qu’on va avoir dans 10 ans, dans 15 ans. Alors, il faut se doter d’une stratégie de modernisation qui embrasse la modernisation, la numérisation, la modernité, la technologie pour en tirer profit le plus rapidement possible au fur et à mesure qu’on est sur cette ‘journey’, sur ce périple ensemble.

Capitaine Adam Orton : Ouh, périple! Ça c’est un bon mot! Donc dans le court terme, quelle sorte de plan est-ce que l’Armée a pour avancer sur ce plan-là, la stratégie de modernisation de l’Armée canadienne?

Major-général Michel-Henri St-Louis : Donc il y a plein d’initiatives au niveau de l’acquisition d’équipement. Il y a des équipements, des idées d’acquisition d’équipement qui avancent. Il y a des futures capacités qui s’en viennent. Je parle à notre système de défense anti-aérienne qu’on a déjà eu dans l’armée que moi j’ai joint, qu’on a perdu mais qu’on va ravoir. Alors, il y a de la technologie qui s’en vient. Il y a des équipements qui s’en viennent.

Mais une des choses principales sur lesquelles on met de l’énergie à travers toutes les initiatives de modernisation, c’est la Force 2025; la Force 2025 étant notre questionnement de la structure, notre questionnement de la structure que l’Armée a présentement et est-ce que cette structure-là est la structure qu’on a de besoin pour cette future Force. Est-ce que la structure de l’Armée actuellement peut avoir et faire l’acquisition de futures capacités? Est-ce que la structure de l’Armée actuellement peut se défendre à travers les différents domaines où il faut opérer de manière à être capable d’opérer sur le domaine de l’information, sur le domaine cybernétique ou de l’Espace.

La Force 2025 nous met au défi de dire qu’on peut pas tout faire comme force de la régulière, qu’on peut pas tout faire comme force de réserve tout seul, qu’on peut pas tout faire dans le Nord avec les Rangers, mais qu’il faut travailler ensemble avec des différentes composantes de la Force en faisant appel à nos employés civils pour qu’ensemble, la fonction publique, les Rangers, les réservistes, les réguliers on donne la capacité terrestre qu’on a de besoin demain. Qu’on se questionne sur notre capacité à avoir certains items dans notre inventaire qu’on peut peut-être pas se permettre d’avoir à travers le Canada et qu’il faut positionner à des endroits spécifiques parce que c’est la seule manière qu’on peut les garder en raison du coût. Et je pense à nos chars d’assaut, qu’on peut peut-être pas se permettre d’avoir des chars d’assaut à différentes bases à travers le Canada. Il va falloir les mettre à un endroit spécifique pour maintenir cette capacité dans le futur. Ou il faut regarder la structure avec les vides, les manquements qu’on y a présentement et peut-être choisir de couper ces manquements-là et assigner ces positions-là à des futures capacités avec une structure différente demain. Parce que l’Armée de demain ne peut pas être l’Armée d’aujourd’hui. La structure d’aujourd’hui ne peut pas satisfaire les besoins de demain. Et si on ne veut pas que les choix soient imposés à l’Armée, si on veut pas que les choix nous soient donnés de l’extérieur, il faut que l’Armée elle-même se questionne sur qu’est-ce qu’elle veut, quelle structure elle a de besoin pour y arriver et ensemble livrer la structure de 2025 qui va servir comme point de mire envers le futur 2030-2035, le futur des forces jointes. Mais 2025, c’est notre première étape, ce premier bond dans la modernisation qu’on essaie d’atteindre.

Capitaine Adam Orton : Donc vous avez fait mention de ça un petit peu. On n’a pas trop rentré dedans, mais on entend souvent, surtout en anglais, mais le mot ‘readiness’ ou la préparation si on veut. Puis souvent on décrit ça comme quelque chose qui est important, puis presque tous les documents qui passent au QG, ça fait mention de ça comme un concept, puis de qu’est-ce que j’ai pu absorber je dirais de ma compréhension, la préparation c’est quelque chose dont un soldat fait de l’entraînement pour se préparer à un déploiement. Ils font tous leur petits entraînements nécessaires, ils prennent soin de leur famille, puis ils sont prêts à aller où on leur demande d’aller. Est-ce que j’ai bien expliqué ça, puis pourquoi est-ce que c’est important pour l’Armée qu’on ait ça comme capacité?

Major-général Michel-Henri St-Louis : Adam, tu l’as super bien expliqué. Je pense que je vais probablement tout mélanger tes auditeurs en y allant pendant quelques minutes-là, mais essentiellement ce que tu as dit en 10-15 mots, ça décrit bien ce que c’est ce souci d’avoir une disponibilité opérationnelle. L’Armée ‘is in the business of’ préparer des soldats à être prêts. L’Armée est dans le secteur d'opérations, de livrer des équipes prêtes à peu importe c’est quoi. Et peu importe c’est quoi, je vais essayer de te l’imager. Ça va de être prêt à exécuter un combat terrestre contre un ennemi similaire à ce que nous on est, mais peut être plein d’autre chose qui est différent sur le spectre de combat qui est d’être prêt à se déployer pour aider un pays aux prises avec un lendemain d’un tremblement de terre, qui peut être d’aller à l’intérieur de notre pays se déployer pour aider des villes qui sont prises avec des inondations ou des provinces qui sont prises avec des feux de forêts. Ça peut être d’être prêt lorsque que notre tour vient de se déployer dans le nord-est de l’Europe pour être déployés comme un groupement tactique qui est là pour agir comme un élément qui convainc nos adversaires qu’il y a une alliance qui est sérieuse dans cette défense de l’Europe. Ça va d’une disponibilité opérationnelle qui existe pour envoyer des soldats en Ukraine, pour entraîner l’armée ukrainienne qui est aux prises avec un voisin qui a pris une partie de son territoire dans ce cas-ci les Russes, qui est un adversaire de l’Ukraine, qui est aux prises avec des tensions internes dans sa propre population, une guerre civile. Et on y est en Ukraine pour professionnaliser cette armée avec des capacités tactiques qu’on transfère de nos soldats à ces soldats. Cette disponibilité opérationnelle nous amène réservistes réguliers à se déployer en Jordanie ou au Liban ou au Koweït, en Iraq pour aider ces armées du Moyen-Orient à se professionnaliser. Elle nous demande d’aller dans des missions des Nations-Unies, des missions de maintien de la paix au Soudan, au Congo, en Israël où on a encore besoin de casques bleus pour être les yeux et les oreilles de la communauté internationale dans ces missions de paix.

Mais pour reprendre un petit peu tes mots, la disponibilité opérationnelle, c’est des soldats, des officiers, du monde comme toi qui sont au sein d’équipes formées qui sont prêts à être prêts. Qui sont prêts parce que quand l’appel vient on dit : « On y va! », qui sont prêts à être prêts lorsque l’appel vient et les chefs se revirent, puis ils font juste dire : « Allons-y! » Et on y va. On va dans un hôpital à Edmonton pour aider le service de santé de l’hôpital qui en a plein les bras. On va dans des endroits de soins de longue durée où les employés civils en ont plein les bras à cause de la pandémie. Ils ne peuvent plus donner des services. On y va, comme on est présentement à Iqaluit dans le nord du Canada où la ville est aux prises avec un manque d’eau potable, et une incapacité à donner de l’eau potable à ses citoyens. Et on y va parce qu’il y avait des soldats, des sapeurs, des ingénieurs qui avaient de l’équipement, des équipes entraînées, une préparation, une disponibilité opérationnelle pour que la semaine passée, quand le coup de fil est venu, Iqaluit a besoin d’un système de purification d’eau, bien on a dit : « On est prêts à être prêts! » Et on embarque dans un C17, un avion de transport de troupes, dans transport de cargos avec notre équipement, nos soldats, nos groupes formés, entraînés, certifiés, validés. Ils sont présentement à Iqaluit et ils coopèrent avec les autorités civiles et ils vont aider dans la livraison d’eau potable éventuellement lorsqu’il y en aura le besoin.

Tout ça, différentes vignettes pour t’illustrer cette disponibilité opérationnelle de l’Armée qui est notre raison d’être. On n’existe pas pour nous-même. On existe pour répondre à l’appel lorsque l’appel viendra.

Capitaine Adam Orton : Oui, puis ce n’est pas facile non plus, parce que des fois on ne sait pas justement vous parlez de la situation où ce que on s’en va aider avec la filtration d’eau dans une ville canadienne. Un ancien commandant d’unité a fait mention une fois que l’Armée a la tâche des fois à se préparer pour quelque chose, puis des fois on ne sait même pas ce qui s’en vient. Donc on se voit avec certains outils que on peut peut-être travailler avec puis on essaie de deviner c’est quoi le prochain problème. Mais on sait jamais vraiment c’est quoi qui va nous tomber dessus.

Major-général Michel-Henri St-Louis : Ta vignette avec un de tes anciens commandants d’unité elle me fait penser à une manière différente que j’ai dans mon propre esprit d’articuler cette disponibilité opérationnelle. Et j’ose croire que si t’es dans une équipe au sein de l’Armée et on t’entraîne à être un chef ou un suiveur d’une équipe qui doit manoeuvrer dans l’espace de bataille terrestre, si tu fais partie d’une équipe qui s’entraîne à manoeuvrer dans l’espace de bataille terrestre face à un ennemi simulé, si on te donne la munition, si on te donne une doctrine, si on t’entraîne à manoeuvrer, à vaincre cet ennemi dans un espace de bataille, donc être prêt ou du côté droit d’un spectre de conflit, où la droite c’est le haut du spectre de conflit, la gauche, c’est le moindre du spectre de conflit, si on t’entraîne à être efficace vers la droite du spectre de conflit, cette capacité pour vaincre un ennemi au niveau tactique avec une équipe au niveau de peloton, une trentaine de soldats ou au niveau de sous-unité, une centaine de soldats qui viennent ensemble, mon expérience me dit et mon opinion est que si tu es prêt à faire ça, tu es certainement prêt à répondre à l’appel lorsque l’appel est quelque chose en-dessous de cette manoeuvre tactique face à un ennemi. Que si le besoin est d’aider une ville aux prise avec une inondation, d’aller aider une autorité régionale avec un feu de forêts, d’aller aider un hôpital qui en plein les bras comme ça a été le cas pendant la pandémie, d’aller aider le service frontalier qui devait contrôler l’accès aux frontières lorsqu’il y avait un surplus de travail pour le personnel de ce département-là. Ou que ça soit nos déploiements que j’ai parlés en Europe, au Moyen-Orient. Et bien, si t’as des équipes formées d’équipes, formées de soldats qui sont prêts au niveau individuel et au niveau de l’équipe, on est prêt à répondre à n’importe quel appel. Et c’est ça la raison pour laquelle l’Armée existe.

Capitaine Adam Orton : Là on a parlé de la préparation, puis aussi un petit peu dans le contexte de c’est pas toujours facile d’être prêt à être prêt comme vous avez dit. C’est vraiment bien expliqué. J’aime vraiment, je vais utiliser ça dans le futur. La pandémie de Covid-19 a certainement eu un impact là-dessus, puis je me rappelle le premier balado qu’on a fait, c’était avec le commandant de l’Armée dans le temps c’était le lieutenant-général Eyre. Maintenant qu’il est le Chef d’état-major de la défense, qu’est-ce qu’on fait pour faire face à ce problème-là qui existe encore, puis qui nous affecte à ce jour, surtout dans le contexte de tout ce qu’on vient de parler?

Major-général Michel-Henri St-Louis : Alors l’Armée, les Forces, tout le département-là a mis plein de mesure en place pour protéger la Force. Au début, en 2020, quand la crise a commencé à son haut point, janvier, février, au mois de mars, « lockdown » à travers la planète, l’inconnu, on sait pas trop sur quel pied danser, qu’est-ce qu’on va faire? Donc on a pris une posture, je vous dirais, défensive pour protéger la Force. Mais très rapidement, l’Armée a réalisé qu’il a fallu réouvrir nos écoles d’entraînement, nos centres d’entraînement. On a vite réalisé qu’il a fallu continuer l’entraînement des forces de réserves dans les manèges, mais on l’a fait de manière différente. On l’a fait de manière distribuée. On l’a fait de manière avec des plus petits groupes. On l’a fait de manière où on évitait certains contacts physiques. On séparait les individus pour minimiser le transfert du virus.

Mais il y a définitivement eu des impacts sur les derniers 12-20 mois, 18 mois de la pandémie qui se font sentir en termes des espaces vacants au sein de la Force, il y a du vide au sein de la Force. Notre structure manque de certains soldats, d’officiers, de chefs. Ces manques-là existaient avant la pandémie. Donc avant la pandémie, avec le niveau d’entrées de nouvelles recrues, nouveaux officiers cadets, et le niveau de sorties à la retraite des personnes qui quittent, le niveau je vous dirais, il n’y avait pas assez d’entrées pour le niveau de sorties. Pas assez, à un niveau qui n’était peut-être pas alarmiste à ce moment-là, mais quand même qui nous mettait sur une pente négative. Il nous mettait sur une pente négative si le défi était de maintenir ou même de grossir les Forces. Cette situation qui, n’était pas déjà très très reluisante avant la pandémie, a été absolument compliquée par la pandémie où les centres de recrutement ont fermé, où la connexion humaine a été arrêtée, où les contacts pour aller encourager quelqu’un à rentrer est devenu difficile. Le processus d’enrôlement est devenu plus long. Les entraînements comme j’ai dit ont été mis en pause jusqu’à temps qu’ils ont été recommencés plus tard dans l’été. Tout ça ensemble fait en sorte que la pandémie, la perte d’entrées, se fait maintenant sentir dans nos rangs et il va falloir y aller d’un effort concerté. La Marine, l’Air force, la Force jointe, le commandement du personnel pour y arriver ensemble à recommencer à rehausser, à repartir cette machine-là, de recrutement, de rétention, d’entraînement. Il va falloir, ensemble, réencourager des jeunes à rentrer dans nos manèges, dans la force de réserve, à rentrer au Collège militaire, à rentrer dans nos rangs dans la force régulière. Il va falloir, comme on le disait au début, adresser cette conduite, cette culture où ils sont encouragés de joindre notre équipe, où ils ne se sentent pas exclus, victimisés à l’entrée, et qu’ils voient cette carrière comme une opportunité de servir. Il faut donc y aller de manière très délibérée; reconnaître qu’il y a du vide dans la structure et reconnaître qu’on est en période de reconstitution. Peut-être qu’on ne pourra pas se permettre de tout faire ce qu’on faisait dans le passé. Il va falloir faire des choix pour garder le focus sur cette génération de la disponibilité opérationnelle, cette attraction de personnel, qu’il y avait pas cette attraction pendant la pandémie et de s’efforcer de, malgré le respect des mesures, malgré nos efforts de maintenir le transport du virus à travers le Canada, que l’Armée doit continuer dans ses efforts de la génération de la disponibilité opérationnelle. C’est là-dessus qu’on s’efforce.

Capitaine Adam Orton : On a parlé du futur puis de notre préparation, puis les difficultés qu’on a vues pendant la pandémie. Pour peut-être finir ça sur un bon ton-là, en votre opinion qu’est-ce qu’on fait le mieux dans notre organisation. C’est quoi notre force en ce moment?

Major-général Michel-Henri St-Louis : Hé, c’est une bonne question Adam : « C’est quoi la force de l’Armée? » Il y a plein d’idées qui me viennent en tête. Et je t’avoue, je n’avais peut-être pas réfléchi en me préparant. Je savais qu’on allait parler de modernisation, de culture, de disponibilité opérationnelle, c’est une bonne question. Donne-moi une seconde. Regarde, pour y répondre, je vais peut-être me prendre comme si tu as pas remarqué-là par un long chemin, mais comme commandant par intérim de l’Armée dernièrement, j’ai passé beaucoup de mon temps au QG à Ottawa, mais j’ai eu la chance aussi de faire quelques déplacements pour voir des éléments de la Force dans les bases de l’Armée. J’ai eu la chance d’aller à Gagetown voir de l’instruction qui se fait là, voir notre programme pour les autochtones qui graduaient à la fin de l’été. J’ai été aussi dans un de nos centres d’instruction à Meaford au courant de l’été. Puis tu me demandes qu’est-ce qu’on fait bien. Je vais me servir d’une conversation que j’ai eue pendant ma visite à Meaford pour essayer de te répondre. Je vais, je vais te décrire à mon arrivée à Meaford en après-midi, on était le jeudi ou le vendredi de la semaine et je visitais la position défensive d’une phase d’instruction pour les jeunes officiers de la réserve. Ils étaient à leur première phase d’instruction pour apprendre à être commandant de section des armes de combat dans la réserve, et je rentre dans une tranchée où il y a deux ou trois élèves officiers je crois qui sont dans leur phase de position défensive donc ils apprennent à être des commandants de sections dans le cadre d’un dispositif d’une section d’infanterie en défense. Donc ils se préparent pour subir une attaque. Donc ils sont en train de creuser des tranchées. Ils sont là depuis trois, quatre jours. Ils sont en exercice depuis une semaine. Ils sont couverts de terre, de boue, de camsticks. Ils sont sales et Adam, en te reparlant, je me souviens que je m’étais dit qu’en fait je ne me souvenais pas qu’on pouvait puer autant quand on était en exercice, ou quand était dans le clôt. J’ai certainement déjà senti comme eux ils sentaient, mais c’était assez intoxicant de les sentir dans leur quatrième, cinquième jour d’exercice. Et malgré la fatigue, malgré qu’ils étaient tout sales, j’avais un des individus dans la tranchée avec un gros sourire fendu d’une oreille à l’autre qui m’a parlé pendant 5-10 minutes de combien de temps ça lui a pris pour rentrer dans la réserve, les défis qu’il a dû passer au travers dans une période de pandémie pour être enrôlé. Il me parlait du fait qu’il était issu d’une famille de première ou deuxième génération émigrée au Canada. Il me parlait dans sa troisième ou quatrième langue. Il me parlait du fait que dans le civil, c’est un docteur en ingénierie qui enseigne dans un collège civil l’ingénierie le jour où qu’il travaille au sein de ADMIE le jour. Qui est réserviste le soir. Il veut être commandant de troupe dans la réserve des ingénieurs de combat. Il a un sourire d’une oreille à l’autre. Il est dans une tranchée ça fait 5 jours. Puis à la fin, avant que je quitte sa tranchée puis je le remercie d’être là, il me dit : « Ah, monsieur, monsieur! Avant que vous partiez, j’ai besoin, j’ai besoin que vous m’aidiez. En plus de tout ce que je fais, je veux en faire plus. J’aimerais ça que vous trouviez un moyen que j’enseigne aux élèves officiers à RMC, au Collège militaire royale de Kingston. Ça m’aiderait. Ça me motiverait. J’aimerais ça pouvoir en faire encore plus. »

Puis là j’ai quitté la tranchée en me disant : « Si cet individu-là c’est l’image de nos prochains lieutenants, capitaines, majors, si ça c’est nos chefs de demain, on est sur le bon chemin. »

Et je suis resté avec l’idée que l’Armée, ce qu’elle t’offre c’est l’opportunité de faire quelque chose que personne d’autre fait. C’est l’opportunité de faire partie d’une équipe au sein d’autres équipes qui a la charge de la défense de notre pays. C’est l’opportunité de faire partie d’une équipe qui fait partie de d’autres équipes qui a la charge de défendre ton pays et de répondre à l’appel peu importe c’est quoi l’appel qui vient. Et si cette opportunité-là peut résonner dans des jeunes Canadiens, Canadiennes aujourd’hui, bien on va être correct pour le futur.

[Musique débute]

Capitaine Adam Orton : Wow! C’est pas que le message! Bien, j’apprécie vraiment le temps que vous avez pris pour être ici avec nous autres monsieur là. C’était vraiment bien là. Moi, je suis pompé là.

Major-général Michel-Henri St-Louis : Bien je suis content que tu sois pompé. Moi, je n’étais pas sûr que j’étais comment au début, mais à force de te parler de ce qu’on fait dans l’Armée et de nos défis, de nos opportunités, bien je te dirais que moi aussi je suis pompé. Merci Adam du temps qu’on a passé ensemble.

Capitaine Adam Orton : Oui, merci pour avoir participé. J’apprécie vraiment ça. Ça c’était le major-général Michel-Henri St-Louis, commandant intérimaire de l’Armée canadienne. Puis moi je suis pas mal pompé pour la saison 3 du balado. Il y a pas mal de choses intéressantes qui s’en viennent donc restez à l’écoute. Moi je suis capitaine Adam Orton. Prenez soin de vous!

[Musique termine]

© Sa Majesté le Roi du chef du Canada, représenté par le ministre de la Défense nationale, 2024